5 milliards de mètres cubes d’eau. C’est ce que les datacenters dédiés à l’intelligence artificielle, ou IA, vont consommer d’ici 2027 ; soit l’équivalent de la consommation annuelle du Japon ou de celle de la France d’ici 2030 (945 térawattheures d’électricité)(1). L’IA, c’est aussi des composants dont les processus de fabrication sont très gourmands en eau et en électricité tout comme ils supposent l’utilisation de milliers de tonnes de terres rares. L’exploitation de ces métaux par un néocolonialisme débridé pollue les sols et l’eau de pays comme le Rwanda, le Soudan, le Niger ou la RDC. Il expose aussi les populations locales à des conditions de travail inhumaines, des guerres et des famines. En outre, nous pouvons penser aux milliers de déchets électroniques rejetés et qui viennent déjà polluer les sols, l’eau et l’air. Tout ça pour remplir les poches de quelques milliardaires technofascistes, d’un patronat qui souhaite remplacer ses salarié·es par des chatbots idiots ou d’Occidentaux qui souhaitent produire des images jaunes pisse sur leur temps libre.
Voilà le futur que nous promettent la Silicon Valley et les capitalistes du monde entier. Un futur dans lequel ce qu’il reste de surface viable et habitable autour du globe servira à construire des datacenters géants et réfrigérés à 23 °C lorsqu’il fera plus de 50 °C dehors. L’intelligence artificielle, c’est la mort de toute intelligence humaine. C’est la destruction de la diversité culturelle, l’annihilation des dialectes, la vaporisation de la liberté.
C’est aussi la fin annoncée de nombreux métiers artistiques. Seule une petite poignée issue de la bourgeoisie pourra penser avoir un métier artistique. En effet, les métiers disparaissent déjà. Pour vivre de leur art, nombre de personnes issues du prolétariat se dirigeaient vers les arts appliqués au travers de la Direction artistique, des métiers de la pub, des jeux vidéo, du design objet, etc. Emplois qui sont déjà remplacés par des prompts IA.

On pourra nous répondre le classique : « les IA, c’est une avancée technologique comme une autre qui va impliquer la destruction d’emplois et la création de nouveaux ». Tout d’abord, aucune nouvelle technologie n’a nécessité autant d’énergie et d’eau, aucune technologie ne s’est fait passer pour des médecins pour conseiller de mauvais traitements. Ni l’imprimerie, ni le nucléaire ou quelques avancées technologiques ne se sont fait passer pour des amants avant de pousser au suicide. D’autre part, parce que nous connaissons l’histoire du prolétariat, nous savons combien ces « avancées technologiques » peuvent être des reculs pour notre classe. Là où les capitalistes nous expliquent les bénéfices de la révolution industrielle du XIXᵉ siècle, du travail à la chaîne et de l’automatisation, nous ne savons que trop bien qu’il s’agit de violences faites aux travailleur·euses, de perte de salaire, mais aussi de pouvoir avec un rapport de force en faveur du patronat. En outre, si l’on peut songer à remplacer des tâches pénibles pour améliorer nos conditions de vie, on imagine très mal comment se passer de la littérature, du dessin, de la musique ou du cinéma pour une société ubérisée où l’art serait fait par des machines qui détruisent la planète et où le prolétariat n’aurait qu’à cumuler les petits boulots pour espérer survivre. Nous refusons cette dystopie libertarienne.
Face à ceci, il est urgent d’injecter de l’art, de la parole, de la diversité dans nos luttes. Cela signifie qu’il nous faut soutenir les artistes locaux lors de nos événements en leur laissant des espaces, ne pas faire appel à l’IA pour nos logos, affiches, visuels en tout genre, vidéos et musiques. Payer ces artistes dès que cela est possible. On rappellera aussi au passage qu’au vu du très grand nombre d’artistes qui existent, on peut se passer des violeurs, agresseurs, pédocriminels, racistes et autres mecs qui ont tabassé/tué leurs ex-compagnes, leurs enfants et des animaux non-humains. Dans le doute, viabilisez des femmes et des personnes non-binaires qui ne sont pas transphobes.
Dans le même ordre d’idées, les luttes ont une histoire artistique. Souvent oubliée et mal considérée par un militantisme qui y voit un truc très mineur, l’histoire de l’art militante est pourtant très riche. S’inspirer des peintures anarchistes du XIXe siècle, de la diversité du XXe siècle dans ses peintures, affiches, performances, féministes, antispécistes, queer, antiracistes ou écolo et dans le monde entier. Connaître ces arts, les comprendre dans leur diversité internationale nous permettra d’arrêter de tourner en rond avec des visuels soixante-huitards. Plus encore, cela nous permettra de construire notre histoire, de reconnaître nos propres langages afin qu’ils ne soient pas effacés et continuent de nous nourrir. Considérer le travail artistique comme un travail à part entière du militantisme permet de renverser les codes patriarcaux et élitistes dans lesquels les tâches artistiques, de care et autres préparations de repas ne vaudraient rien face à une manifestation, une grève ou une émeute. Pourtant, sans affiches et sans tracts, pas de manifestation et pas de piquet de grève sans repas et ni boissons. Sans groupes de musique, pas de concert de levée de fonds. Le dessin, le texte, la musique sont au cœur de nos pratiques, il est temps de les considérer comme des richesses, de les connaître et de les transmettre.
(1) Frédéric Bordage, « Quels sont les impacts environnementaux et sanitaires de l’IA ? » dans : Impacts environnementaux et sanitaires de l’intelligence artificielle, 2025 : https://www.greenit.fr/2025/10/21/quels-sont-les-impacts-environnementaux-et-sanitaires-de-lia/
Pour illustrer cet article, nous avons choisi une peinture de Faith Ringold. We Came to America présente une mer agitée devant laquelle se dresse une statue de la Liberté figurée sous les traits d’une femme noire tenant un enfant. Cette allégorie est entourée de rescapé·es d’un bateau de la traite négrière ayant pris feu.
Cette peinture s’inscrit dans une série de onze quilts (courtepointes) racontant l’histoire d’une artiste noire dans des États-Unis misogynes et racistes. Cette œuvre illustre les valeurs pour lesquelles Faith Ringgold s’est battue toute sa vie en tant que militante féministe et antiraciste, militantisme qu’elle endossa pleinement en tant qu’artiste au sein du Women Artists in Revolution (WAR) de « Where We At » et d’autres groupes dont elle fut la fondatrice comme le Women Students and Artists for Black Art Liberation (WSABAL) et la National Black Feminist Organisation. Ces groupes ont écrit l’histoire de l’art et continuent d’influencer aujourd’hui les réflexions menées dans les musées et les milieux artistiques. Le travail de Ringold et des groupes dans lesquels elle a été active sont aux antipodes de l’IA et replace les artistes et leur sujet au cœur de la création en leur rendant leur agentivité. On vous encourage à aller y jeter un œil.
D’autre part, cette œuvre, par son regard sur le passé colonial, esclavagiste et raciste et sa continuité contemporaine et ouvre la réflexion sur les dynamiques qui s’opèrent depuis une domination états-unienne sur des pays d’Afrique.
L’Envol,
25 décembe /2025
